
Les incidents survenus lors de Perpignan–Racing, le 20 septembre, ont ravivé un débat qui couvait depuis plusieurs mois : celui du comportement des supporters dans les stades de rugby.
Entre insultes, jets de bière, doigts d’honneur et tensions récurrentes dans les tribunes, un constat s’impose : l’ambiance se durcit. Simple succession d’incidents isolés ou véritable tournant sociologique ?
De l’incident à la sanction : un signal fort envoyé à l’USAP
Les débordements de Perpignan ont marqué les esprits.
Des jets de gobelets, l’intrusion d’un spectateur sur la pelouse… et une sanction exemplaire : 50 000 euros d’amende (dont 2 000 avec sursis) et deux matches de suspension de terrain (dont un avec sursis).
Le président catalan, François Rivière, avait alors réagi avec lucidité via L’équipe :
« On fait un éclairage sur l’USAP, mais l’atmosphère générale dans le rugby va dans le mauvais sens. »
Si la discipline a toujours connu quelques débordements, leur nature et leur visibilité semblent aujourd’hui différentes.
Un sport plus populaire… et donc plus exposé
Laurent Marti, président de l’UBB, confie avoir connu « des coups de parapluie entre spectateurs autour du terrain, dès [son] plus jeune âge ! » Mais aujourd’hui, le contexte a changé.
Porté par la Coupe du monde 2023, les performances du XV de France et la notoriété d’Antoine Dupont, le rugby a gagné en visibilité. La saison dernière, le Top 14 a battu son record d’affluence (+6 %), avec six clubs affichant 100 % de guichets fermés.
Une popularité qui attire de nouveaux publics, pas toujours familiers des codes historiques de ce sport.
« Aujourd’hui, le stade n’est plus un lieu qui va se cantonner à la simple performance sportive, explique le sociologue du sport Seghir Lazri via L’équipe. Il y a des enjeux économiques importants, il faut rentabiliser l’investissement. Avec cette ouverture, la socialisation du supporter change. »
Même constat du côté du RCT, où Manu Bielecki, président des Z’Acrau, observe une mutation du public :
« Il y a de nouveaux supporters qui ne sont pas forcément du sérail du rugby, il faut leur apprendre les fameuses valeurs. »
Des débordements plus visibles qu’avant
Pour autant, il serait simpliste d’en faire porter la responsabilité aux nouveaux venus.
« La société n’est pas plus violente aujourd’hui qu’elle ne l’était hier, explique Seghir Lazri. Elle l’est même moins. Mais l’exploitation et la médiatisation de cette violence sont d’autant plus prégnantes. »
Les incidents existeraient donc depuis toujours — simplement, ils se voient davantage.
« Des bagarres entre supporters, ça a toujours existé. On en trouve partout, mais elles étaient moins relayées avant. Aujourd’hui, tout est filmé, commenté, partagé. C’est l’exploitation du phénomène qui change », souligne le sociologue.
Ce qui faisait rire hier – une invective, une bousculade – choque davantage aujourd’hui.
Entre fermeté et relativisme
Pour Manu Bielecki, les tribunes de rugby n’ont pas viré au chaos :
« Il n’y a pas de gros incidents, mais de mauvaises paroles, oui, il y en a pas mal. »
Les associations de supporters jouent un rôle crucial dans la prévention.
« Pas plus tard que dimanche à Mayol, j’ai appelé la sécurité parce qu’un mec éméché insultait une stadière. C’est notre rôle que ça ne dérive pas. Quand on joue à l’extérieur, dans le bus avant de descendre, on fait un briefing sur le comportement. On véhicule l’image du club, on a une charte. »
Même son de cloche chez Laurent Marti, qui appelle à la mesure :
« Tout évolue, il ne faut pas le nier, ne pas laisser faire, agir et punir les vrais imbéciles. Mais je veux relativiser, je n’irais pas jusqu’à dire que ça prend une tournure si inquiétante que ça, ni à Perpignan ni ailleurs, sans pour autant jouer les naïfs de service. »
Préserver la ferveur, sans franchir la ligne
Le rugby, sport de passion, ne doit pas non plus devenir un spectacle aseptisé.
« Quand vous en avez pris 50 pendant un match et qu’à la fin on vous branche un peu trop, il faut vite calmer le truc, sourit Bielecki. Il faut accepter de se faire brancher et accepter la défaite. Mais parfois, la passion prime et ça fait dérailler. »
Avec 12 clubs sur 14 visant le top 6 chaque saison, la tension est permanente. Et dans cette atmosphère sous pression, rester mesuré n’est pas toujours simple.
Mais comme le rappelle la sagesse apprise sur les bancs de l’école :
« On ne fait pas à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse. »







