
La nuit du 15 octobre 2023 reste une cicatrice vive dans l’histoire récente du rugby français.
Cette soirée où le XV de France, porté par tout un pays et mené par Antoine Dupont, a vu son rêve s’effondrer face aux Springboks (28-29), hante encore les esprits.
Deux ans plus tard, alors que les Bleus s’apprêtent à retrouver leurs bourreaux sud-africains, le traumatisme n’a jamais complètement disparu.
Un rêve brisé à domicile
La France avait tout pour soulever enfin le trophée Webb-Ellis : un effectif brillant, une génération dorée avec Dupont, Ntamack, Alldritt ou Fickou, un public acquis à sa cause et l’avantage d’évoluer à domicile.
L’aventure s’était ouverte par un succès majuscule face à la Nouvelle-Zélande (27-13). Elle devait se poursuivre vers la gloire.
Mais la réalité fut cruelle : battus d’un seul point après avoir mené la majeure partie du match, les Bleus quittaient la compétition dès les quarts. Un scénario d’autant plus dur à encaisser que les décisions arbitrales controversées de Ben O’Keefe ont alimenté un sentiment d’injustice profond.
« Le quart de finale de 2023, c’est comme la finale de 2011, ça restera à vie », confie William Servat, l’entraîneur de la conquête tricolore.
Comme en 2011, la France a chuté d’un souffle, mais cette fois, elle partait favorite. Et c’est sans doute ce qui rend la blessure si douloureuse.
Une cicatrice invisible mais omniprésente
Chaque joueur a vécu à sa manière le deuil de ce rêve brisé.
« Ça n’a pas été dur sur le moment, mais plus les deux ou trois mois d’après, où on se dit qu’on est passés à côté de quelque chose, raconte Louis Bielle-Biarrey via Le Parisien. Ça aurait été un superbe aboutissement. »
Pour d’autres, la douleur a été plus profonde.
Thomas Ramos, marqué par sa transformation contrée par Cheslin Kolbe, a mis un an avant de revoir le match. Damian Penaud, lui, a tourné la page plus vite. Grégory Alldritt a préféré s’éloigner des terrains pendant deux mois et demi après la Coupe du monde.
Quant à Antoine Dupont, il a affronté le choc de plein fouet : frappé d’insomnie, il a revu le match en entier dès la nuit suivante.
Lui qui avait disputé ce quart en héros diminué, à peine trois semaines après une fracture maxillo-zygomatique, a trouvé refuge ailleurs : le rugby à 7, sa « thérapie » pour se vider la tête. Mais même après son sacre de joueur de l’année, il évoquait encore cette « cicatrice ».
Des séquelles jusque dans le corps
Ce traumatisme collectif a laissé des traces profondes.
Laurent Labit, ancien entraîneur de l’attaque, aujourd’hui au Stade Français, raconte :
« J’ai voulu vite rebondir avec le Stade-Français, mais j’étais encore secoué. Je manquais d’énergie, d’envie. Tu sais que tu es passé à côté d’un truc incroyable qui ne reviendra jamais. »
Même les proches ont constaté les dégâts.
Le père d’un joueur confie :
« Mon fils a mis beaucoup de temps à passer à autre chose. Ça l’a pas mal marqué, même s’il n’a pas voulu le montrer. »
Et ce mal intérieur a fini par rejaillir sur la pelouse.
Le Tournoi des Six Nations 2024, pourtant abordé avec envie, s’est transformé en chemin de croix : défaite cinglante contre l’Irlande (17-38), nul contre l’Italie (13-13)… Les corps semblaient lourds, les têtes encore embuées.
« Les joueurs n’avaient pas digéré, » a reconnu Fabien Galthié à l’issue du tournoi.
Un fardeau collectif
Même les membres du staff n’ont pu échapper au poids de cette désillusion.
« Dans la rue, on croise des gens qui viennent nous dire qu’ils ont passé une très mauvaise semaine à cause de ce match, » raconte Servat.
Laurent Sempéré, son collègue, se souvient lui aussi de ce lendemain plombé :
« À l’école de mes enfants, tout le monde avait la mine défaite. »
C’est dire à quel point ce quart de finale a dépassé le cadre sportif. Il a touché une génération de joueurs, mais aussi tout un pays, convaincu que l’heure du sacre avait sonné.
L’heure du pardon ?
Ce samedi, sur la même pelouse du Stade de France, les Bleus recroiseront leurs démons sud-africains. Un rendez-vous lourd de sens, même si tous jurent ne pas nourrir d’esprit de revanche.
« Tout le monde est passé à autre chose », assure Louis Bielle-Biarrey.
Mais du côté sud-africain, le ton est plus lucide :
« Je pense qu’il serait difficile de nier l’esprit de revanche. Ils ont des regrets et voudront rectifier le tir », a glissé Felix Jones, membre du staff des Springboks.







