Dans son édition du lundi, Midi Olympique se penche en profondeur sur l’interdiction faite aux joueurs de rugby de parier sur leur propre discipline. Corentin Ségalen, responsable de la lutte contre les manipulations sportives à l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ), partage son point de vue et alerte sur les risques grandissants liés aux paris sportifs.
Il rappelle clairement que « les sportifs professionnels, les arbitres et les entraîneurs n’ont pas le droit de parier sur leur sport » sous peine de sanctions disciplinaires. Depuis la création en 2016 de la plateforme nationale de lutte contre les manipulations sportives, la priorité est donnée à la sensibilisation : « Si on veut être efficace dans la lutte contre les manipulations sportives, il faut qu’on sensibilise tous les acteurs du sport, athlètes, arbitres, entraîneurs et leurs entourages. »
Pour autant, le rugby n’est pas le sport le plus exposé à ce fléau. « Aujourd’hui, le rugby n’est pas le sport le plus à risque », précise Corentin Ségalen, tout en soulignant la nécessité de rester vigilants face à l’augmentation des paris des joueurs. Quelques cas de manipulation ont été détectés notamment en Australie, en Nouvelle-Zélande ou dans le Pacifique, mais « en Europe, nous n’avons pas de gros cas avérés de manipulation sportive. »
Le boom des paris sportifs depuis 2010 explique en partie cette situation. « En 2010, il y avait 448 millions d’euros pariés chaque année. Cette année, en France, nous allons dépasser les 15 milliards d’euros de mises sur les paris sportifs ! » En quinze ans, ces mises ont été multipliées par 30, augmentant le risque d’addiction des athlètes. Une étude de 2016 du syndicat européen « EU Athletes » révélait déjà que les sportifs avaient quatre fois plus de chances de devenir accro aux jeux d’argent que la population générale. Aujourd’hui, ce risque a été multiplié par huit, selon une étude récente du Conseil de l’Europe.
Plusieurs facteurs expliquent cette vulnérabilité : « Les athlètes ont un gros esprit de compétition. Ils sont souvent seuls, loin de chez eux. Ils sont hyper connectés. Parfois, ils ont aussi un peu d’argent. » Cette combinaison et leur maîtrise du jeu leur donnent une illusion de contrôle, renforçant l’attrait pour les paris. Corentin Ségalen décrit un cercle vicieux : « L’addiction au jeu d’argent arrive dans un vestiaire. Entre eux, ils parlent toujours de leurs gains et plus rarement de leurs pertes. »
Cette addiction devient parfois un terrain fertile pour la manipulation des compétitions. « Dans de nombreuses affaires, des organisations criminelles approchent les athlètes addicts en leur proposant de rembourser leurs dettes de jeu en échange de performances volontairement altérées », explique-t-il.
Les chiffres sont parlants : une étude de l’UEFA indique que 7 % des joueurs ont un problème de jeu, soit au moins un joueur addict par équipe. En France, le croisement des données entre la Ligue de football professionnel et l’ANJ a permis d’identifier une hausse majeure des cas positifs liés aux paris, passant de 30 en 2019 à 150 en 2023. « Il n’y a pas de raison que le rugby soit épargné. »
Pour détecter ces comportements à risque, un dispositif sécurisé appelé « le coffre » permet à l’ANJ de suivre toutes les transactions des comptes joueurs auprès des opérateurs. À la demande des ligues ou fédérations, les fichiers sont croisés pour détecter d’éventuels paris suspects. Les sanctions sont alors adaptées en fonction de la gravité et de la nature des infractions.
Enfin, Corentin Ségalen rappelle que la loi impose à toutes les fédérations d’inscrire dans leur règlement intérieur « l’interdiction de parier sur son propre sport pour les acteurs du sport ». Cette règle concerne les athlètes, arbitres, officiels, médecins et même parfois les bénévoles, afin de préserver l’intégrité des compétitions et lutter efficacement contre ce nouveau danger qui guette le sport.







