Dans le rugby professionnel moderne, la pression est constante : entraînements strictement calibrés, matches à haute intensité, récupération minutieusement surveillée et analyse poussée des performances. Face à ce cadre rigide, de nombreux joueurs cherchent une bouffée d’air. Depuis quelques années, le padel est devenu une échappatoire privilégiée pour se détendre, changer d’air et rester actif autrement.
Pour eux, cette pratique ne relève pas d’une simple lubie, mais d’une véritable nécessité mentale. Kévin Firmin l’assume clairement dans Midi Olympique : « J’ai toujours eu besoin de faire autre chose à côté du rugby. À Castres, on me l’a parfois reproché parce qu’à cette époque-là, je jouais beaucoup mais j’ai toujours expliqué que j’étais incapable de faire rugby-maison. Je suis un grand fan de sport. J’ai besoin de ça ».
Le padel séduit par son aspect ludique, social et accessible. Le talonneur de Montauban confie : « J’ai tout de suite accroché avec ce sport, je m’y suis senti bien et je me suis rapidement mis à faire des tournois. En fait, c’est ludique et puis, si on est un mauvais joueur de tennis, on sera toujours un joueur correct de padel ».
Au-delà du simple loisir, ce sport crée du lien entre joueurs, parfois même entre clubs rivaux. « Sur les terrains, les frontières entre clubs disparaissent, » observe Firmin. « On croise souvent des joueurs de rugby. J’ai connu Clément Bitz sur les terrains de padel avant qu’il arrive à Montauban. J’ai aussi joué contre Romuald Séguy et Thomas Girard quand ils étaient tous les deux à Colomiers. D’ailleurs, j’avais pris une rouste ! Ils étaient très très forts ».
Arthur Coville, demi de mêlée de Provence Rugby, voit dans cette pratique un véritable outil d’ouverture sociale : « Malgré tout, ça nous apporte plein d’autres choses que le côté sportif. Personnellement, j’aime découvrir d’autres horizons, apprendre à connaître d’autres personnes. C’est aussi un moyen et un endroit où on peut rencontrer beaucoup de monde. C’est très convivial. Ça permet de déconnecter, de penser à autre chose ». Régulièrement sur les terrains, il affiche un classement reconnu : « Je suis monté 1 700, ça commence à être pas mal ! (rires). Il faut vraiment beaucoup pratiquer pour avoir un classement révélateur de son niveau, ce qui n’est pas notre cas en tant que rugbyman parce que malgré tout, je ne peux pas y jouer tout le temps ».
Pour autant, cette liberté d’activité soulève une question majeure du côté des staffs : jusqu’où autoriser cette pratique ? Florian Nicot rappelle la limite évidente : « On ne peut pas avoir le contrôle sur la vie privée des joueurs sur leur temps de repos et les fliquer ». Si une pratique occasionnelle du padel « ne me dérange pas non plus, ça les aère », prévient-il, « il y a un risque de blessure inévitable ».
Le cadre reste donc essentiellement moral, dans la confiance et la responsabilité individuelle. « C’est une conversation à avoir avec un joueur. C’est un contrat moral : contractuellement, on ne peut pas agir sur leur vie privée. S’ils se blessent ou sont moins performants le week-end, ils peuvent en payer les conséquences », explique Nicot.
À Bayonne, le discours est similaire, avec une nuance importante. Loïc Louit rappelle : « C’est un bien-être mental qui est certain », mais avertit néanmoins : « Ça peut être une activité possible organisée par le staff en saison, mais lorsqu’elle est “sauvage” et qu’on la cumule à l’entraînement, ça fait que les joueurs sortent du cadre du monitoring de l’entraînement et c’est un peu compliqué ». Pour le préparateur physique, la comparaison est claire : « Il ne viendrait pas à l’idée à un sportif qui fait de l’endurance, un cycliste ou un marathonien de se caler une séance de padel en plein milieu de sa semaine d’entraînement ».
Face à ces défis, certains clubs privilégient un accompagnement plutôt qu’une interdiction stricte. À Biarritz, Fred Ourabah mise sur la pédagogie : « Je suis plutôt pour “donner du sens” à ce qu’on fait, sans être radical et binaire ». Il poursuit : « Les joueurs nous informent de façon presque générale de leurs activités physiques extra-rugby. J’ai expliqué les demandes physiques du padel, les principales blessures, donc les bons gestes à adopter pour un meilleur échauffement ».
Pour le staff, le padel possède même des bienfaits tangibles. « Ce sport est bénéfique pour s’aérer la tête, c’est aussi bénéfique pour la réactivité, tout en maintenant une activité physique légère », souligne Ourabah. À Bayonne, on abonde dans ce sens : « C’est une activité avec des changements de direction, des prises de décision. Elle permet d’entretenir ses qualités, de s’aérer l’esprit, c’est important de changer de cadre. Je dirais que le padel est très fortement indiqué dans des périodes comme l’intersaison ou les vacances ».
Côté joueurs, la responsabilité prévaut. Kévin Firmin témoigne : « En fait c’est du bon sens, si je sais que je vais jouer le week-end, je ne vais pas au padel. Quand je ne joue pas en revanche, je me permets d’y aller ». Arthur Coville adopte une stratégie similaire : « Aujourd’hui, quand on a des semaines classiques et qu’on a match le week-end, je m’autorise à faire un ou deux matchs avec mes amis, soit le dimanche ou le lundi après-midi. Passé ce délai-là, je ne joue plus ».
Les staffs, eux, ont intégré cette réalité qu’ils ne peuvent contrôler totalement. Florian Nicot conclut, sans ambages : « C’est à leurs risques et périls ».







