
Plus de trois ans après le décès tragique de Jordan Michallet, le tribunal judiciaire de Rouen a prononcé une décision sans précédent.
Le suicide de cet ancien ouvreur du Rouen Normandie Rugby, survenu en janvier 2022, a été officiellement qualifié d’accident du travail. La CPAM de Rouen Elbeuf Dieppe est désormais tenue de prendre en charge cet accident mortel, marquant une première dans le domaine du sport professionnel.
Une reconnaissance judiciaire exceptionnelle
Me Antoine Semeria, avocat de la famille, voit dans ce verdict une forme de réparation symbolique.
Il s’est exprimé auprès de L’Équipe :
« C’est loin de réparer quoi que ce soit, mais une juridiction a fait droit à la reconnaissance du caractère professionnel de ce suicide. C’est extrêmement important dans le travail de deuil de Noélie et sa famille. La justice a considéré que le suicide de son mari était dû au travail alors qu’elle n’avait pas l’explication à ce geste. »
Au départ, la CPAM avait rejeté la demande, arguant que le décès s’était produit en dehors des heures et du lieu de travail. Cependant, les témoignages des coéquipiers ainsi que les données médicales ont convaincu le tribunal qu’un lien direct existait avec l’activité professionnelle.
La pression du niveau élite pointée du doigt
Un coéquipier a évoqué un joueur à bout de forces :
« Il avait été utilisé de façon très conséquente en raison du fait qu’il manquait un joueur de son poste au sein de l’effectif (…) ce qui l’a épuisé physiquement et mentalement. »
Un autre a rappelé la souffrance psychologique engendrée par les défaites :
« Cette année-là notre équipe enchaînait les défaites, il faisait partie des joueurs qui détestaient les défaites plus qu’il aimait gagner, il se sentait coupable d’échouer en équipe. »
Quelques jours avant son geste, Michallet confiait à un coéquipier son profond mal-être :
« Il me disait que ça n’allait pas, qu’il ne dormait plus, qu’il avait peur de la situation du club (…) qu’il avait envie de tout arrêter, tout stopper. »
Mais ce n’est pas tout. Certains témoignages évoquent une pression exercée par la direction du club. Extrait :
« Il avait grande déception face au »chantage » des dirigeants qui lui avaient indiqué que s’il n’acceptait pas dans la journée leur proposition, le club ferait parvenir à un autre joueur une proposition dans la journée. »
Un autre coéquipier livre un témoignage lourd de sens. Extrait :
« Il me disait que ça n’allait pas, qu’il ne dormait plus, qu’il avait peur de la situation du club. Nous avons une psychologue en commun, il était allé la voir mais (il me disait) que ça ne lui avait pas fait du bien pour ensuite me demander si »j’avais déjà eu des envies de suicide ». Je lui ai répondu que non et lui ai retourné la question, à laquelle il m’a répondu qu’il avait envie de tout arrêter, tout stopper parce que la situation dans laquelle était le club sportivement le rongeait, l’empêchait de dormir (…) on sentait qu’il était vraiment à bout de forces. »
Une décision lourde de signification
Pour Noélie, veuve de Jordan, ce verdict représente une étape cruciale.
Elle souligne l’importance de cette reconnaissance pour elle et leur fille :
« La décision du tribunal reflète la triste réalité. (…) Premièrement pour la mémoire de Jordan. Deuxièmement pour sa fille, Jade, afin qu’elle sache que son papa n’a pas réalisé ce geste pour des raisons personnelles mais bien pour des raisons professionnelles. (…) La reconnaissance en accident du travail va nous permettre d’avancer un peu plus sereinement. »
Un tournant possible pour le sport français ?
Me Antoine Semeria estime que cette décision invite à repenser les choses :
« Qu’un tribunal reconnaisse que le suicide d’un sportif soit d’origine professionnelle, c’est à ma connaissance une première. (…) Cette décision est importante en ce qu’elle met en lumière la responsabilité collective que nous avons vis-à-vis des athlètes : leur performance ne peut être dissociée de leur bien-être psychologique. »
Un jugement qui dépasse le cadre exclusif du rugby pour interpeller l’ensemble du sport hexagonal : comment mieux protéger les sportifs et prévenir ce type de tragédie à l’avenir ?







